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Un court texte d’Edgar Morin dans le cadre des Dialogues en humanité – juillet 2020 à Lyon

 

“Un minuscule virus dans une ville ignorée de Chine a déclenché le bouleversement d’un monde. En tant que crise planétaire, elle met en relief la communauté de destin de tous les humains en lien inséparable avec le destin bio-écologique de la planète Terre ; elle met simultanément en intensité la crise de l’humanité qui n’arrive pas à se constituer en humanité. En tant que crise économique, elle secoue tous les dogmes gouvernant l’économie et elle menace de s’aggraver en chaos et pénuries dans notre avenir.

En tant que crise nationale, elle révèle les carences d’une politique ayant favorisé le capital au détriment du travail, et sacrifié prévention et précaution pour accroître la rentabilité et la compétitivité. En tant que crise sociale, elle met en lumière crue les inégalités entre ceux qui vivent dans de petits logements peuplés d’enfants et parents, et ceux qui ont pu fuir pour leur résidence secondaire au vert.

En tant que crise civilisationnelle, elle nous pousse à percevoir les carences en solidarité et l’intoxication consumériste qu’a développées notre civilisation, et nous demande de réfléchir pour une politique de civilisation (Une politique de civilisation, avec Sami Naïr, Arléa 1997). En tant que crise intellectuelle, elle devrait nous révéler l’énorme trou noir dans notre intelligence, qui nous rend invisibles les évidentes complexités du réel.

 

En tant que crise existentielle, elle nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins, nos vraies aspirations masquées dans les aliénations de la vie quotidienne, faire la différence entre le divertissement pascalien qui nous détourne de nos vérités et le bonheur que nous trouvons à la lecture, l’écoute ou la vision des chefs-d’œuvre qui nous font regarder en face notre destin humain.

Et surtout, elle devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat, le secondaire et le frivole, sur l’essentiel : l’amour et l’amitié pour notre épanouissement individuel, la communauté et la solidarité de nos « je » dans des « nous », le destin de l’Humanité dont chacun de nous est une particule. En somme, le confinement physique devrait favoriser le déconfinement des esprits.”

Edgar Morin

 

Tag(s) : #cultures
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